Portrait de Chimiste : Laurent Lepot

Laurent Lepot

Expert judiciaire à l’Institut National de Criminalistique et de Criminologie (INCC)

Laurent Lepot, 41 ans, est Docteur en Chimie, expert judiciaire à l’INCC, au sein du laboratoire d’analyse de matériaux, avec pour spécialités les textiles et les peintures.

Quel est votre parcours professionnel ?

Je suis diplômé en chimie de l’Université de Liège, avec une licence (2004) et un doctorat (2011). J’ai d’abord consacré la première année de ma thèse au Laboratoire de Chimie Analytique Inorganique à l’analyse des restes de peintures murales de la cathédrale de Tournai par spectroscopie Raman (via le Centre Européen d’Archéométrie de l’ULiège), puis je me suis orienté vers la caractérisation des colorants pour textiles au service de la criminalistique (via un partenariat entre l’ULiège et l’INCC). Le financement de mon doctorat a donc été rendu possible par une bourse de chercheur, obtenue de la politique scientifique fédérale via l’INCC. En 2009, un poste d’expert judiciaire spécialisé en textiles est devenu vacant à l’INCC et cela a été l’occasion pour moi de concrétiser mes travaux de recherche en me lançant dans la vie professionnelle, tout en finalisant parallèlement ma thèse de doctorat. Depuis 2009, j’occupe le même poste tout en diversifiant mes spécialités.

Quelle est votre position actuelle et quelles sont vos missions ?

Je suis expert judiciaire à l’Institut National de Criminalistique et de Criminologie (INCC) qui est un institut fédéral situé à Bruxelles et qui offre un panel de spécialités d’analyses (chimie, biologie, toxicologie, balistique, etc.) à travers les différents laboratoire et services qui le composent. Ma principale mission est de répondre aux demandes des magistrats pour réaliser des analyses sur des échantillons collectés par la police scientifique, dans le cadre d’un délit ou d’un crime, et de produire un rapport d’expertise faisant état de mes observations et de mes conclusions. La plupart du temps, il s’agit de comparer des traces collectées sur le lieu du délit et de les comparer à un objet saisi chez ou sur un suspect potentiel. Dans d’autres cas, il s’agit uniquement de caractériser au mieux les traces analysées et de proposer le matériau dont elles pourraient provenir. Les analyses de textiles et de peintures sont essentiellement basées sur la microscopie optique et sur plusieurs techniques de micro-analyse, la plupart du temps non destructives afin de préserver l’intégrité des traces. J’assure occasionnellement quelques missions connexes comme porter assistance à la police scientifique lors de perquisitions, être à disposition du magistrat lors de la reconstitution des faits ou encore témoigner au tribunal pour présenter les conclusions de mon expertise. Je dois également assurer des missions didactiques en expliquant mes spécialités lors de diverses formations destinées aux nouveaux magistrats, aux nouveaux enquêteurs criminels et aux nouvelles recrues de la police scientifique. L’INCC a également pour mission de promouvoir la recherche et le développement en criminalistique/criminologie et j’ai donc également la possibilité de développer des thématiques de recherche, via l’accueil de stagiaires ou via des collaborations académiques.

Travaillez-vous seul ou en équipe ?

En équipe, bien sûr ! Le travail en équipe permet de combiner les connaissances et les compétences de tous les membres de l’équipe qu’ils soient experts ou analystes. Travailler en équipe avec une communication directe permet aussi à chacun de se sentir utile et impliqué dans les dossiers d’expertise, et de trouver ainsi la motivation dans son travail (puisque la plupart de mes collègues sont attirés par l’aspect judiciaire de la fonction). Se reposer sur l’équipe est aussi souvent important quand la charge de travail devient trop pesante à gérer seul. Par ailleurs, notre système qualité impose également un contrôle des analyses et du rapport d’expertise par des collègues compétents et indépendants, ce qui conduit aussi à des interactions avec d’autres membres de l’équipe non impliqués initialement dans le dossier d’expertise.

Êtes-vous amené à voyager ?

Comme membre d’un institut forensique (anglicisme plus communément utilisé aujourd’hui que le terme criminalistique), je suis invité à participer aux réunions européennes annuelles qui touchent à mes spécialités (textile et peinture). Ce sont des colloques scientifiques réservés aux experts des différents instituts membres du réseau européen (European Network of Forensic Science Institutes –  ENFSI) et qui se tiennent à tour de rôle dans les différents pays membres. D’autres colloques forensiques plus généraux, ouverts à la fois aux experts et au monde académique, existent et permettent à ceux qui en ont le temps et l’envie de voyager en Europe et à travers le monde.

Quel est l’aspect de votre métier qui vous plait le plus ?

L’aspect que je préfère est la finalité très concrète de mon travail. Mes analyses et les conclusions de mon rapport d’expertise peuvent directement être utilisées par un magistrat pour prendre une décision concrète dans le cadre d’une enquête judiciaire. Un autre aspect plaisant est qu’il n’y a jamais de routine car chaque nouvelle demande d’analyse s’accompagne d’un contexte différent, ce qui rend chaque dossier d’expertise pratiquement unique.

Quelles qualités faut-il selon vous pour exercer votre métier ?

Je dirais principalement de la rigueur et de l’intégrité. Ces qualités, je pense les avoir en partie acquises ou du moins perfectionnées durant mes études de chimie : la rigueur avec la pratique en laboratoire et l’intégrité avec la communication écrite ou orale des résultats scientifiques. Une autre qualité est aussi inhérente à la fonction d’expert judiciaire, la neutralité. En effet, l’expert doit travailler en toute objectivité bien que connaissant parfois l’issue dramatique des faits judiciaires et ses résultats d’analyses peuvent aussi bien bénéficier aux victimes qu’aux suspects. Un expert judiciaire doit bien sûr rester humain, même si l’empathie ne lui est autorisée qu’en dehors de ses heures de travail.

Pourquoi, selon vous, faut-il étudier la Chimie ?

La chimie ouvre de nombreuses portes pour un avenir professionnel, que ce soit dans l’industrie chimique où travaillent bon nombre de mes camarades de promotion ou dans des domaines plus atypiques comme j’en suis la preuve, sans oublier l’enseignement et le milieu académique. La chimie d’autrefois basée sur le pétrole et le plastique est en train de se transformer progressivement vers une chimie plus verte et plus respectueuse de notre planète. Pour y parvenir, le secteur de la chimie a besoin d’une nouvelle génération de chercheurs et de diplômés qui portent en eux ces nouvelles valeurs d’écologie et de respect du vivant. Ce n’est pas en fustigeant la chimie d’hier qu’on changera le monde, mais en s’impliquant pour construire la chimie de demain !

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui veulent se lancer dans des études de Chimie ?

Les études de chimie ne sont pas simples et elles demandent beaucoup d’investissement, notamment pour les longues heures de travaux pratiques et de laboratoire qui sont au programme. Cependant, l’assiduité aux cours théoriques combinée aux travaux pratiques vont vous donner des acquis non négligeables et vont très probablement diminuer l’effort à fournir durant les sessions d’examens. Ne soyez pas effrayés par les premières années d’études qui vous apporteront les bases et le bagage nécessaire pour comprendre à quel point la chimie est omniprésente dans notre vie quotidienne : la diversité de la chimie se révélera à vous au fil des années et vous y trouverez la voie à suivre pour réaliser votre projet de vie ou un de vos idéaux. Soyez patients et passionnez-vous !

Pouvez-vous partager une d’anecdote avec les chimistes de l’ACLg ?

Durant mes études, j’ai toujours préféré la pratique et j’étais nettement moins assidu quand il s’agissait d’étudier la théorie. Je profitais sans gêne des vacances de Noël et de Pâques, plutôt que de les mettre à profit pour étudier et préparer en avance les sessions d’examens. J’ai remarqué que cela stressait beaucoup mes parents à l’époque et qu’ils venaient chaque soir inspecter mon bureau pour vérifier que les pages des livres se tournaient. Pour assurer ma tranquillité et celle de mes parents, je faisais donc chaque jour un peu de mise en scène sur mon bureau en étalant toujours un peu plus mes notes et en tournant régulièrement plusieurs dizaines de pages de livres. Avec le recul, je réalise que cela m’a souvent joué de mauvais tours, et notamment d’être un éternel abonné à la seconde session, mais je n’ai jamais su étudier autrement qu’en dernière minute, avec la pression de la date d’examen qui approche.

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Publié le 22 juin 2022 par Wendy Müller

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